« À plusieurs, on va plus loin » : retour d'expérience de la SAS Caux Avenir Biogaz

National 23 AVRIL 2025

Quand cinq fermes normandes choisissent de produire ensemble de l'énergie

Une aventure humaine, collective et agricole 

À Limpiville, dans le nord de la Seine-Maritime, cinq exploitations agricoles ont uni leurs forces pour créer une unité de méthanisation collective. Une histoire de territoire, d'élevage et d'entraide, mais aussi un projet porté à parts égales par des femmes et des hommes décidés à faire de leurs effluents une source d'énergie locale. Fabienne Bardin, directrice générale de la SAS Caux Avenir Biogaz, nous partage cette expérience, construite sur la durée et l'engagement collectif. 

De la CUMA à la métha : une idée partagée, un projet porté 

« On travaille en CUMA depuis des générations, dans la continuité de nos pères. Alors quand l'idée a été lancée, elle a tout de suite résonné. »

Fabienne Bardin

L'un des membres du bureau évoque la méthanisation. Une idée enfouit dans les esprits, mais restée jusqu'alors à l'état de projet individuel. C'est en collectif que le pas a été franchi, porté par une dynamique de groupe profondément enracinée dans l'histoire locale. Ici, la coopération n'est pas une nouveauté, mais un prolongement naturel de pratiques agricoles partagées. 

La volonté est simple et pragmatique : mieux valoriser ce qui est déjà là.

« Ce sont des matières que l'on produit toujours. On est tous éleveurs, on le restera. Pourquoi ne pas les transformer en énergie ? »

Fabienne Bardin

De là est née l'idée de prolonger naturellement l'activité agricole, en fermant la boucle : produire de l'énergie à partir de ce que la ferme génère déjà. Il s'agit de compléter la chaîne de valeur agricole, de la ferme à l'énergie, en s'appuyant sur une ressource renouvelable issue du quotidien des exploitations. Une réponse locale, concrète, à la fois économique et écologique. 

Une formidable aventure humaine 

« Nous avons passé 200 demi-journées ensemble en trois ans et demi. C'est très motivant de construire quelque chose à plusieurs. » 

Fabienne Bardin

Les réunions, parfois techniques, souvent stratégiques, ont été l'occasion de poser les bases de l'organisation future. La confiance s'est renforcée au fil des étapes, tout comme la compréhension des enjeux du projet. 

Leur cohésion est réelle. Même tranche d'âge, mêmes valeurs, mêmes ambitions pour leur territoire.

« On se réunit tous les quinze jours minimum. Parfois plus, jamais beaucoup moins. Toutes les décisions sont prises en collectif, à l'unanimité. »

Fabienne Bardin

Cette gouvernance horizontale repose aussi sur un pacte d'associés structurant, longuement travaillé en groupe, avec l'accompagnement d'une juriste. Une rigueur qui leur permet aujourd'hui d'avancer sereinement, avec des rôles clairs et des décisions assumées collectivement. 

L'aventure est aussi familiale. Fabienne s'implique au quotidien, son mari assure des astreintes techniques sur le site, et leurs enfants, comme ceux des autres associés, sont déjà en ligne de mire pour la transmission. Elle insiste aussi sur un point souvent oublié : l'implication des épouses au cours des longues phases de réunions, de visites et de concertation. Pendant que certains sillonnaient la région pour découvrir des unités, d'autres assuraient la continuité sur les exploitations. Une implication silencieuse, mais indispensable. 

Une organisation bien pensée 

La SAS fonctionne avec deux salariés : l'un est fils d'associé et l'autre est mis à disposition par l'exploitation attenante. Tous deux ont été formés, l'un via un CS Métha à Laval, l'autre avec les techniciens du constructeur.

« Au début du projet, chaque associé souhaitait s'impliquer dans le site et tenir une astreinte toutes les six semaines. Mais dans la réalité, ce n'est pas tenable. Si on intervient si rarement, on ne reste pas efficace. » 

Fabienne Bardin

Le cœur de la gestion revient donc aux deux salariés, épaulés ponctuellement par des associés très investis. Fabienne, elle, s'occupe de l'administratif : un poste à part entière.

« Il ne faut surtout pas sous-estimer cette charge. » 

Fabienne Bardin

Un site dimensionné pour durer 

Le site injecte 199 Nm³/h et a été pensé dès le départ pour monter à 250 Nm³/h. Il est composé de deux digesteurs et un post-digesteur. Un choix qui a démontré toute sa pertinence en novembre 2023, quand la tempête Ciaran a détruit l'un des gazomètres.

« On a pu continuer à fonctionner avec les deux autres digesteurs. Ce type d'aléa est imprévisible, mais en concevant le site avec trois cuves, nous nous donnons les moyens d'anticiper les périodes de maintenance ou de curage sans interrompre l'exploitation. » 

Fabienne Bardin

Les intrants sont principalement agricoles : 63 % d'effluents d'élevage ( fumier, lisier, fiente) complétés par des CIVE, du maïs, de la sylphie, des pulpes de betteraves, et quelques coproduits agricoles. 

L'unité est également équipée de panneaux photovoltaïques, en autoconsommation, pour réduire sa dépendance aux prix de l'électricité. Ces panneaux couvrent environ 15 à 20 % des besoins énergétiques annuels du site. 

Caux Avenir Biogaz

Par ailleurs, les digestats issus de la méthanisation sont valorisés sur un plan d'épandage de 1 000 hectares. Celui-ci est réparti entre les cinq exploitations associées, selon des plans d'épandage individuels. Chaque agriculteur reste ainsi maître de la gestion de ses surfaces, en cohérence avec ses pratiques culturales et ses engagements réglementaires. 

L'acceptabilité : une clé dès le départ 

L'acceptabilité locale a été préparée très en amont.

« On parlait déjà du projet alors qu'on n'avait encore rien déposé. On voulait être les premiers à communiquer sur le sujet. »

Fabienne Bardin

Et même avant cela, les discussions avaient commencé alors que tout n'était pas encore complètement clair dans les esprits. Le collectif partageait une intuition commune, une envie de faire ensemble, bien avant d'avoir une vision arrêtée du projet. Cette posture de transparence spontanée a permis de bâtir une relation de confiance avec les riverains et les élus. 

Le collectif a organisé une porte ouverte à la ferme avant même le dépôt du permis de construire. Un geste fort à ce stade d'un projet, qui a permis d'expliquer les intentions, de montrer les visages derrière l'initiative, et de répondre sans détour aux premières interrogations. Cette démarche a été complétée par l'organisation d'une visite collective dans la Manche, où un car entier d'élus et d'habitants de Limpiville a découvert une unité de méthanisation comparable. 

Ce double dispositif – ancrage local et ouverture extérieure – a fait la différence. Il a permis d'anticiper les inquiétudes, de dissiper les fantasmes, et de poser les bases d'un dialogue serein. Même les voisins initialement sceptiques ont pu constater par eux-mêmes le sérieux du collectif, sa rigueur technique et la qualité de ses pratiques. Une approche proactive qui reste aujourd'hui un marqueur fort de la réussite du projet. 

Caux Avenir Biogaz

Des choix réfléchis, une vision à long terme 

Le coût total s'élève à 8,5 millions d'euros, avec 10 % d'apport des associés, 6 % d'aides ADEME, et un dossier FEDER en cours. Le contrat de vente de biométhane a été signé avec Engie : un choix de stabilité.

« On s'est tourné vers un acteur solide, qu'on connaissait. » 

Fabienne Bardin

Le site repose aussi sur des bases juridiques solides, avec des clauses de transmission anticipées. Plusieurs enfants d'associés pourraient rejoindre la SAS dans les années à venir. 

Caux Avenir Biogaz

Conseils aux futurs porteurs de projet 

Avec du recul, Fabienne Bardin partage une série d'enseignements tirés des quatre années d'engagement collectif. Ces recommandations, ancrées dans l'expérience vécue, s'adressent directement à celles et ceux qui envisagent de se lancer dans la méthanisation, qu'ils soient au stade de la réflexion ou déjà bien avancés dans leur projet. 

  • S'entourer : « Tout seul, on ne va pas loin. Le collectif est une force. » La réussite du projet repose avant tout sur une dynamique de groupe solide. Cette cohésion, loin de se limiter à une mutualisation financière, est une ressource précieuse dans la durée : pour échanger, avancer ensemble, décider, faire face aux imprévus, mais aussi pour partager la satisfaction du chemin parcouru. 
  • Bien choisir son site : « Il faut des accès adaptés pour éviter les conflits de circulation. » L’emplacement conditionne à la fois la faisabilité technique et l'acceptabilité sociale du projet. Un mauvais choix peut générer des tensions durables avec les riverains, là où un site bien positionné fluidifie l'ensemble du fonctionnement logistique. 
  • Être très organisé : « Il y a énormément d'administratif. Quelqu'un doit le porter. » Derrière chaque unité de méthanisation, il y a un ou plusieurs référents qui assurent un suivi précis des obligations réglementaires, des déclarations, des suivis de production. Ce travail de l'ombre est indispensable à la pérennité du projet. 
  • Visiter un maximum de sites avant de faire ses choix. « On a visité une vingtaine d'unités, et on a pris le meilleur de chacune pour construire la nôtre. C'est indispensable pour se projeter et éviter les mauvaises surprises. » Chaque unité a ses spécificités, mais les retours de terrain permettent d'éviter bien des erreurs. En comparant les organisations, les équipements, les choix d'intrants ou les aménagements, les futurs porteurs peuvent s'inspirer, affiner leur vision et bâtir un projet mieux dimensionné, plus réaliste et plus adapté à leur propre contexte. 
  • Se former, anticiper, et s'assurer : « La technique est exigeante, mais pas inaccessible. Il faut s'y préparer. » La formation initiale permet d'appréhender les fondamentaux, mais l'apprentissage se fait aussi sur le terrain, au fil des aléas. Être bien assuré permet, quant à lui, de traverser les périodes critiques, comme l'a montré la tempête Ciaran. 

Aujourd'hui, les associés travaillent à l'agrandissement du site.

« Ce projet va déjà bien nous occuper. Et puis, on sait qu'il y a encore beaucoup à faire, notamment autour du CO₂. »

Fabienne Bardin

Une phrase qui résume bien l'état d'esprit du groupe : lucide, structuré, et résolument tourné vers l'avenir. 

Caux Avenir Biogaz

Carte d'identité du site – SAS Caux Avenir Biogaz 

Nom : SAS Caux Avenir Biogaz 

Localisation : Limpiville (Seine-Maritime) 

Date de mise en service : 5 octobre 2023 

Nombre d'associés : 5 exploitations agricoles 

Capacité actuelle : 199 Nm³/h 

Capacité cible : 250 Nm³/h d'ici fin 2025 

Intrants :

  • 63 % effluents d'élevage 
  • 15 % CIVE 
  • 10 % cultures (maïs, sylphie) 
  • 8 % pulpes de betteraves 
  • 4 % coproduits agricole. 

Surface d'épandage : 1 000 hectares (plans d'épandage individuels) 

Budget : 8,5 millions d'euros 

Financement : 10 % d'apport privé, 6 % ADEME, dossier FEDER en cours 

Partenaires techniques : 

  •  Process : Novatech 
  • Épurateur : GazFio 
  • Etude de faisabilité : Cerfrance  

Revente du biométhane : contrat avec Engie 

Énergie complémentaire : 900 m² de panneaux photovoltaïques (15 à 20 % de la consommation annuelle de l'unité) 

Structure : SAS au capital de 504 000 € 

Équipe : 2 salariés + implication des associés 

Vous êtes porteur de projet et vous souhaitez réaliser des visites de site de méthanisation, contacter nous.

Nos articles sur le même thème

Plusieurs régions
Retour d'expérience de Jean Christophe Gilbert, producteur de biométhane à Liffré (35)

Découvrez l'exploitation de Jean Christophe Gilbert et ses associés. Son projet, son histoire, ses motivations et ses conseils.

Plusieurs régions
Retour d'expérience de Mauritz Quaak, producteur de biométhane à Chaumes-en-Brie

Découvrez l'exploitation de Mauritz Quaak et son frère. Son projet, les défis et les réussites de son parcours.

Suivez l’évolution de votre projet de méthanisation

Suivez l’évolution de votre projet de méthanisation